American Journal of Innovative Research and Applied Sciences. ISSN 2429-5396 I www.american-jiras.com
ORIGINAL ARTICLE
| Litoto Pambou Lucien 1| Leyinda Pascal Alain 1 | Bakingu-Bakibangou Yvette 1 | Mandoumou Paulin 1 | Magema Joachim 1 | Moulongo Jean Georges André 2* | and |Massamba Alphonse 2 |
1. Laboratoire Sport, Représentations et Régulations Sociales (S2RS) | Institut Supérieur d’Education Physique et Sportive | Université Marien NGOUABI | Brazzaville | Congo |
2 Laboratoire des Biosciences du Sport (LaB2S) | Institut Supérieur d’Education Physique et Sportive | Université Marien NGOUABI | Brazzaville | Congo |
| Received | 03 July 2018 | | Accepted | 28 July 2018 | | ID Article: Litoto-ManuscriptRef.3-ajira060718 |
ABSTRACT
Contexte: Les recherches africaines sur les comportements et qualités des joueurs au football mettent en évidence un phénomène de parenthèses de l’agression sportive. Objectif : Décrire le caractère psychosociologique du comportement d’agression dans la pratique du football au cours d’une compétition au Congo-Brazzaville. Méthodes : Nous avons recensé les manifestations d’agressivité motrice par les footballeurs et footballeuses au cours des matches de demi-finales et finales inscrites aux championnats nationaux 2012-2013. Les niveaux des comportements d’agression ont été identifiés sur la base de la méthodologie de Coulomb, Rascle et Pfister, ainsi que de l’analyse des images vidéo. Résultats : Les hommes présentaient un niveau plus élevé de conduites d’opposition spécifiques (gênes, contacts, préhension) par rapport aux dames, ainsi que pour les intimidations verbales et physiques. La prise en compte de l’enjeu de la compétition révèle que les interactions agressives et les sanctions étaient plus commises lors des matches de demi-finales. Conclusion : Au Congo-Brazzaville comme ailleurs, le jeu de football n’en est pas moins porteur de violence réelle et symbolique.
Mots clés : Comportement d’agression, football, genre, compétition, Congo.
1. INTRODUCTION
Le vocable de violence donne lieu à des représentations différenciées dans des espaces sociaux très diversifiés. Toutefois, dans le domaine sportif le verbal, le physique et le psychologique apparaissent comme les principales formes de violence, dominantes et structurantes dans les activités sportives investies [1]. Alors qu’on parle aujourd’hui de démocratisation des sports, du lien social, du poids de l’individuel dans l’explication des problèmes de société, force est de constater la violence demeure une affaire de société [2]. On ne choisit pas sa violence, mais on est choisi par elle ; la violence représentée ou pratiquée par les sportifs, ses formes en particulier sont le produit des propriétés sportives, sociales et culturelles de leurs espaces sportifs d’appartenance. Le sport et ses violences, loin de réduire les inégalités, contribue donc à les reproduire. Une étude antérieure sur les comportements d’agression des handballeurs congolais [3] a mis en évidence une homologie avec les résultats d’autres enquêtes qui se sont intéressées aux formes de violence comme instruments de légitimation des inégalités sociales et culturelles [1, 4, 5]. Les résultats de cette étude ont également montré que les violences physiques étaient destinées à marquer les corps, lorsque les violences psychologiques étaient destinées à marquer les esprits. Par ailleurs, il est apparu que plus l’on allait vers les pratiques de compétitions à fort enjeu instrumentées plus les formes de violences prenaient de la hauteur, touchaient au psychisme et s’intellectualisaient. Mais qu’en est-t-il du football ? Au Congo-Brazzaville, pays d’Afrique Centrale, le football est une forme sociale de pratique physique qui occupe le premier rang parmi toutes les disciplines sportives pratiquées, tant sur le plan du nombre de pratiquants que sur le plan de la médiatisation. Comme toute pratique sociale, le football a évolué dans la même direction que le code des comportements et des sensibilités, en adoptant le modèle américain du « sport éducation » [6]. L’abattage médiatique autour de ce sport aboutit de nos jours à « la construction d’une opinion publique sur le football qui s’est étoffée à mesure que les journalistes se sont prêtés au jeu du café du commerce et ont ouvert les vannes d’une expression spontanée sur le ballon rond » [5]. Par conséquent, un croisement de regards sur les comportements d’agression chez des footballeurs congolais issus de milieux socialement et culturellement pauvres peut-il permettre de mieux identifier les violences pratiquées sur le terrain ? Pour répondre à ce questionnement, nous avons réalisé une enquête auprès de footballeurs de première division pour identifier l’existence de l’agressivité instrumentale et verbale au cours des rencontres sportives et analyser les facteurs associés à cette agressivité.
2. Méthodes
2.1. Cadre et type d’étude
L’étude, observationnelle et analytique, s’est déroulée dans quatre villes de la République du Congo, pays d’Afrique Centrale peuplé d’environ 3.500.000 habitants et de superficie 342.000 km2. Il s’agit de : Brazzaville (capitale politique), Pointe-Noire (capitale économique), Dolisie (troisième ville du pays) et Djambala (communauté urbaine). L’étude a été menée au cours du championnat national de football, saison sportive 2012-2013 (versions hommes et dames).
La période d’étude allait d’octobre 2012 à juillet 2013. Cependant, seuls les matches des demi-finales (04 rencontres) et finales (02 rencontres) ont fait l’objet de nos observations. Ce choix était motivé par les objectifs fixés par cette étude. Les différentes rencontres ont eu lieu sur les stades suivants : Complexe Omnisports Alphonse Massamba Débat à Brazzaville, stade municipal de Pointe-Noire, stade Denis Sassou Nguesso de Dolisie, stade de Djambala. Ces différentes infrastructures sportives, de nature pluri sport, possédaient des stades de football homologués par la Confédération Africaine de Football.
2.2. Sujets
Le football est classé parmi les sports à « violences dures », socialement et culturellement « pauvres » [1]. Les joueurs recrutés étaient issus de huit équipes (4 masculines et 4 féminines), lesquelles avaient participé aux demi-finales et finales du championnat national sénior de football. Au total, 96 sportifs ont pris part à 6 rencontres sportives (4 demi-finales et 2 finales) au cours de l’expérimentation, dont 48 hommes (50%). L’investissement requis - et nécessaire - pour atteindre ce niveau d’expertise dans l’activité rendait difficile et inhibait l’éventualité pour ces spécialistes, tous amateurs ou semi - professionnels, de pratiquer d’autres sports hormis leur discipline phare. Cette "absence" de diversification avait trait aussi bien au processus de spécialisation, qui était souvent précoce, qu’au nombre d’entraînements hebdomadaires imposés à ces sportifs (plus de 15 heures/semaine). Le choix des joueurs participant aux demi-finales permettait donc d’éviter le parasitage, les "conflits" qu’aurait pu engendrer un "portefeuille de pratiques" trop fourni [7]. Ces footballeurs évoluaient dans des clubs au niveau national, affiliés à la Fédération Congolaise de Football. Tous les sujets appartenaient à la catégorie séniore pendant la période d’étude. L’étude empirique s’est effectuée au cours du championnat national de la saison sportive 2013, lors des demi-finales et finales.
2.3. Procédure d’évaluation
Les Interactions Agressives Non Codifiées (IANC) dans la pratique du football ont été répartis en deux groupes conformément à la classification retenue par Pfister (2011) et indiqué dans le tableau 1 [8].
Tableau 1 : classification des IANC dans la pratique du football
100. IANC opératoires
Au moyen des membres inférieurs
Tacler irrégulièrement (sur la jambe d’appui avec pieds décollés du sol, avec semelles en avant, en tenailles), …
Faucher, balader, crocheter, porter un coup sur la cheville ou la jambe (en dessous du genou) …
Faire un « pied levé », porter un coup au-dessus du genou ou sur un joueur au sol avec le membre inférieur …
Préhension-obstruction
Tirer à une main par les vêtements ou une partie du corps, …
Tenir ou retenir à deux mains ; ceinture, plaquer, …
Empêcher de jouer, faire obstruction, bloquer l’élan, la course, …
Percussions-coups
Pousser avec les mains, s’appuyer sur, écarter du coude, de l’avant-bras ou de la main, …
Bousculer, protéger, catapulter, percuter avec le dos, charger irrégulièrement avec l’épaule, …
Jouer frauduleusement la balle avec les membres supérieurs, etc.
Contrôler la balle avec les membres supérieurs, intercepter une passe ou un tir avec un membre supérieur, …
Tricheries
Retard du jeu : attendre pour rendre le ballon, éloigner le ballon, le jeter loin, ne pas le déposer, retarder ou ralentir une remise en jeu, refuser de jouer…
Non-respect des distances : ne pas se mettre à distance régulièrement sur coup franc (9m 15), avancer la balle par rapport à l’endroit où elle devrait être jouée ou par rapport à l’endroit indiqué par l’arbitre, …
Jouer frauduleusement la balle avec les membres supérieurs, contrôler la balle avec les membres supérieurs, intercepter une passe ou un tir avec un membre supérieur, marquer un but avec la main, le bras, …
200. IANC non opératoires
Contre un adversaire
Physique : charger, piétiner, donner des coups, bousculer, frapper, donner un coup de tête, cracher sur … hors d’une action de jeu
Verbales et/ou gestuelles : faire des gestes obscènes ou d’énervement, faire des reproches, tenir des propos véhéments contre, insulter, menacer, se disputer avec, refuser les excuses de l’adversaire, …
Contre un arbitre
Physique : bousculade, frapper, cracher sur, envoyer la balle sur, …
Verbales et/ou gestuelles : altercation (propos véhéments, insultes, menacer, faire des gestes obscènes, …) contestation (manifester fugitivement son désaccord avec une décision, protester fugitivement du geste ou de la parole, signaler à l’arbitre après une action de jeu qu’il doit sanctionner l’adversaire ou qu’il aurait dû signaler une faute ou une violation)
Contre un partenaire
Physique : bousculade, Physique, frapper, cracher sur, envoyer la balle sur, …
Verbales et /ou gestuelles : faires des reproches, tenir des propos véhéments, insulter, menacer, faire des gestes obscènes ou d’énervement ; applaudir l’échec d’un coéquipier, ordonner de façon autoritaire, marquer sa désapprobation, crier fort sur le mode de la colère, ...
Contre le officiels journalistes, ramasseurs de balles, personnel de service public
Physique : bousculer, frapper, cracher sur, envoyer le ballon sur …
Verbales et/ou gestuelle : insulter, tenir des propos véhéments, faire des gestes obscènes ou d’énervement, se disputer, faire signe de se taire, …
Contre soi-même
Physiques : se donner des coups, se tirer les cheveux, se taper la tête contre le mur ; un poteau, le sol, …
Verbales et/ou gestuelles ; s’insulter, se faire des reproches, se faire des gestes de colère, d’énervement après un échec, …
Contre un objet
Physique : donner des coups de rage dans un objet (balle, poteau, …), tirer violemment sur le filet…
Verbales et/ou insulter un objet, crier sa colère contre un objet,…
Source : extrait de Pfister (2011) [8]
Après avoir choisi le système de Pfister (2011), une étape importante demeurait l’apprentissage des catégories ainsi la mécanique de codage avec l’enregistrement audiovisuel [8]. Ensuite, l’observation de quelques matchs a permis de tester la facilité d’utilisation ainsi que la maîtrise du système. Par la suite, il a fallu décoder l’information en remplissant les tableaux de fréquences. Pour faciliter la tâche du codeur, quatre matchs ont été choisis avant les demi-finales et finales des différentes coupes pour permettre l’observation des matchs de demi-finales et finales. Les IANC ont été décrites selon la zone de terrain dans laquelle elles ont été commises, l’équipe qui l’a commise, le pointage et le temps du jeu, ainsi que les fautes appelées par l’arbitre. L’étape subséquente était le décodage des résultats qui ont été soumis à l’analyse.
A partir des résultats d’observation en temps réel de matches, il s’est avéré intéressant de comparer la fréquence et la nature des fautes identifiées avec celles appelées par l’arbitre. Par la suite, des hypothèses explicatives du phénomène de la violence au football tenant compte de certains facteurs contextuels comme le sexe des participants, l’issue de la partie et la zone de jeu ont été formulées.
Quant au test de fidélité, Pfister (2011) a déterminé que le coefficient de fidélité inter-observateurs et intra-observateurs ne devait pas être inférieur à 0,75 pour être considéré comme satisfaisant, puisque la valeur des résultats et des interprétations en dépend [8]. Un test de fidélité a été alors réalisé, à l’aide d’une bande vidéo de la Coupe d’Europe de Football 2015. Un expert en observation a identifié 20 séquences d’IANC et les a codées. Les séquences ont ensuite été visionnées et codées par l’analyste de la présente étude. Le coefficient de fidélité inter-observateur a été établi à 0,85. La figure 1 présente les différentes surfaces de terrain de football.
Figure 1 : répartition du terrain. A : zone de réparation défensive ; B : tiers défensif ; C : tiers central ; D : tiers offensif ; E : zone de réparation offensive.
Extrait de Nosanchuk et Neil (2009) [9].
Par ailleurs, nous retenons trois catégories d’indicateurs pour décrypter les films des matchs :
La classe des « gênes », représentée par les écrans, les harcèlements, les marquages empêchant l’adversaire de progresser vers la cible qu’il soit ou non porteur de balle. Les corps sont proches mais ne se touchent pas ;
La classe des « contacts », constituée de poussées et de blocages, perpétrés sur porteurs et non-porteurs de balle. Les corps se touchent momentanément par les membres ou le tronc ;
La classe des « préhensions », observée lors des plaquages, ceinturages ou tenues du porteur ou des non-porteurs de balle.
2.4. Variables étudiées
Elles se focalisaient sur les comportements agressifs retrouvés lors des demi-finales et finales, selon la catégorie et la sous-catégorie d’agression. De plus, une relation a été recherchée entre les scores liés aux agressions émises par chaque équipe et le pronostic du match (victoire égale à 3 points ; défaite égale à 1 point) lors des différentes rencontres.
2.5. Analyse statistique
En ce qui concerne l’enquête, le QECSA (Questionnaire d’Enquête sur le Climat dans le Soccer Amateur) de Gendron et coll. (2006) a été utilisé pour évaluer le comportement pour chaque rôle du joueur (VI, AG) face à la violence [10]. Les résultats sont présentés selon deux approches : (1) la prévalence exprimée en termes de pourcentage ; (2) la fréquence sous forme de moyenne arithmétique ± écart- type, ce pour les types de violence (IV, IP, VP). Les résultats concernant la prévalence et la fréquence sont présentés pour l’ensemble des joueurs et selon le genre.
Le test t de Spiegel (comparaison de deux pourcentages) ou le test t de Student (comparaison de deux moyennes) selon le respect de l’homogénéité des variances ou non est utilisé afin d’identifier les différences de genre [11].
Pour cerner les différences perçues entre trois pourcentages, le test So de Sokal (1995) a été requis [12].
Par ailleurs, une analyse de variance multi variée (MANOVA), par le biais du coefficient Wilk’s Lambda, a permis de rechercher l’effet "type d’agression" et du "sexe" sur l’issue de la rencontre.
Les données ont été saisies sur Epi Data. Après contrôle de qualité et vérification de cohérence, ces dernières ont été exportées sur SPSS version 15.0 pour analyse. Les différences entre les valeurs sont considérées comme statistiquement significatives lorsque la valeur critique d’incertitude p est inférieure à 0,05.
3. RESULTATS
3.1. Au terme des demi-finales
Les résultats concernant la prévalence et la fréquence des trois types de violence selon l’ensemble des joueurs et le genre en tant que victime, dans les trois disciplines sportives, sont consignés dans les tableaux 2.
Tableau 2 : Prévalence et fréquence des trois types de violence, lors des demi-finales, pour le rôle de victime chez les footballeurs des deux sexes
Hommes + FemmesHommesFemmesTest t
Fréq. (n) Prév. (%)Fréq. (n) Prév. (%)Fréq. (n) Prév. (%)Fréq. Prév.
4,66 752,44 274,39 752,34 313,98 762,38 325,06 762,68 284,62 751,49 303,98 753,36 334,03 721,93 263,99 732,04 313,95 793,33 313,30** 1,842,29* 0,730,10 1,89
IV: intimidation verbale ; IP: intimidation physique ; VP: violence physique ; Moy.: moyenne arithmétique ; ET: écart-type ; Fréq.: fréquence ; Prév.: prévalence ; (*): différence significative à p˂0,05 ; (**): différence significative à p˂0,01.
La fréquence des intimidations verbales chez les footballeurs des deux sexes s’avérait supérieure par rapport à celle associée aux autres comportements agressifs : 5,06 ± 2,68 chez les hommes et 4,03 ± 1,93 chez les filles. La différence entre les sexes était hautement significative.
Les données liées à l’analyse de l’influence de la discipline sportive pratiquée sur la fréquence et la prévalence des trois types de violence, pour le rôle de victime, sont présentées dans les tableaux 3 et 4.
Tableau 3 : Résultats comparés de la fréquence et de la prévalence des trois types de violence, lors des demi-finales, pour le rôle de victime entre hommes et femmes
Hommes (n=40)Femmes (n=40)P
IVFréq. (n)5,06±2,684,03±1,93˂0,05
Prév. (%)7672NS
IPFréq. (n)4,62±1,493,99±2,04˂0,05
Prév. (%)7573NS
VPFréq. (n)Prév. (%)3,98±3,36753,95±3,3379NS˂0,05
IV: intimidation verbale ; IP: intimidation physique ; VP: Violence physique ; Fréq.: fréquence ; Prév.: prévalence ; NS: différence non significative.
Il ressort de l’analyse des données du tableau 3 qu’au cours des matches de demi-finales les différents actes de violence en termes de fréquence étaient plus retrouvés chez les hommes. Cependant, les différences notées pour les prévalences ne s’avéraient significatives que par rapport aux intimidations verbales (5,06±2,68versus 4,03±1,93 ; p˂0,05) et physiques (4,62±1,49 versus 3,99±2,04 ; p˂0,05).
3.2. Au terme des finales
La fréquence et la prévalence des trois types de violence lors des deux matches de finales en tant que victime, selon le genre, sont rapportées dans le tableau 4.
Tableau 4 : Fréquence et prévalence des trois types de violence chez les footballeurs victimes d’agression lors des finales
Hommes + FemmesHommesFemmesTest t
Fréq. (n) Prév. (%)Fréq. (n) Prév. (%)Fréq. (n) Prév. (%)Fréq. Prév.
IVMoy.ETIPMoy. ETVPMoy.ET3,76 481,58 235,02 642,14 354,73 611,36 184,83 552,17 275,45 692,62 415,20 671,63 232,69 411,01 194,59 591,66 294,26 551,09 13 2,11* 1,34 1,85 2,07* 1,98* 2,31*
IV: intimidation verbale ; IP: intimidation physique ; VP: violence physique ; Moy.: moyenne arithmétique ; ET: écart-type ; Fréq.: fréquence ; Prév.: prévalence ; (*): différence significative à p˂0,05.
Les résultats relatifs à la fréquence et la prévalence des trois types de violences selon l’implication du joueur dans l’acte agressif sont consignés dans le tableau5.
Tableau 5 : Fréquence et prévalence des trois types de violence chez les footballeurs agresseurs
Hommes + FemmesHommesFemmesTest t
Fréq. (n) Prév. (%)Fréq. (n) Prév. (%)Fréq. (n) Prév. (%)Fréq. Prév.
IVMoy.ETIPMoy. ETVPMoy.ET4,50 721,32 184,27 691,53 212,76 521,43 174,80 761,54 224,58 741,71 253,04 571,65 204,17 681,10 143,96 641,35 172,48 471,21 142,23* 1,98*3,05** 2,24*2,51* 2,16*
IV: intimidation verbale ; IP: intimidation physique ; VP: violence physique ; Moy.: moyenne arithmétique ; ET: écart-type ; (**): différence significative p˂0,02 ; (*): différence significative à p˂0,05.
Ainsi, à au moins une reprise au cours du match des finales les joueurs ont indiqué avoir effectué au moins un des quatre comportements associés à l’échelle d’IV dans un ordre de 76% pour les hommes contre 68% pour les femmes. En ce qui concerne les hommes, la prévalence de l’IV était plus élevée ou comparable par rapport à celle de l’IP, mais statistiquement supérieure à celle de la VP : 76% contre 54%. Il en était de même pour les femmes : 68% contre 47%.
A la lumière des données des tableaux 2 et 4, les résultats comparés des demi-finales et finales en termes d’intimidation verbale, d’intimidation physique et de violence physique montrent que les actes de violences diminuaient avec l’enjeu compétitif.
4. DISCUSSION
4.1. Comportements d’agression et violence
Notre étude herméneutique du football de haut niveau au Congo visait à identifier et analyser les manifestations d’agressivité motrice émises par 96 footballeurs (hommes et femmes), s’affrontant dans le cadre des demi-finales et finales des différents championnats nationaux de football, saison sportive 2012-2013. Il est apparu que : (1) le volume des comportements de transgression et d’agression augmentait clairement et significativement avec l’enjeu compétitif ; (2) les hommes présentaient un niveau plus élevé par rapport aux filles pour chacun des types de violence, et ce, pour chaque rôle du joueur (victime, agresseur) ; (3) la fréquence et la prévalence des comportements associés à l’intimidation verbale et à l’intimidation physique augmentaient avec l’enjeu de la compétition ; (4) les hommes émettaient significativement plus de comportements agressifs (de nature tant instrumentale qu’hostile) que les femmes ; (5) les conduites d’opposition spécifiques (gènes, contacts, préhensions) étaient l’apanage des équipes vaincues ; (6) les équipes victorieuses émettaient moins de comportements agressifs que les équipes perdantes ; (7) les actes agressifs de nature instrumentale étaient plus retrouvés que les comportements de nature hostile ; (8) les discours des attaquants et les défenseurs lors de la finale de football étaient opposés : les attaquants faisaient preuve d’une distanciation en termes de responsabilité, étaient plus tolérants vis-à-vis des comportements d’agression, et leur morale était davantage de type individualiste.
Toutefois, l’interprétation de nos résultats doit tenir compte de certaines limites. La première limite est d’ordre méthodologique. En effet, la plupart des travaux portant sur les interactions agressives dans la pratique sportive s’appuient sur des entretiens semi-directifs avec des joueurs [13, 14, 15]. Ces entretiens permettent de recueillir les interprétations verbales des joueurs, tout en laissant une ouverture au « non-dit » exploré au travers de la volonté (ce que le joueur veut bien dire), de la réflexion (ce à quoi le joueur n’a jamais pensé) et des sensations (ce que le joueur ne peut pas toujours dire). En effet, l’entretien est « une situation sociale de rencontre et d’échange, et non pas un simple prélèvement d’information » [16]. Le but est alors de faire vivre aux interviewés leur ‘’petit cinéma’’, considérant que « l’individu est à la fois acteur et réalisateur des séquences, le plus souvent décousues, qui défilent dans son for intérieur » [16].
La seconde limite tient, au niveau de la population étudiée, au non prise en compte de certaines variables qui interviennent dans les comportements d’agression chez les sportifs. Il s’agit notamment de : l’expérience sociale ; l’âge ; l’ancienneté dans le club; le poste occupé. Par ailleurs, cette étude ne s’est appuyée que sur 18 matchs de niveau national. Il aurait sans doute fallu augmenter la durée d’expérimentation afin d’observer un nombre plus important de rencontres, et donc de mieux appréhender les comportements d’agression chez les sportifs de cette discipline.
Cependant, ces limites évoquées n’affectent pas totalement la puissance de nos observations. Cette étude est dans tous les cas, la première du genre dans notre milieu ; incluant des footballeurs réputés de haut niveau. De plus, dans le domaine du football congolais, où les enjeux sociopolitiques sont importants, les pratiques de domination et d’opposition révèlent des rapports sociaux entre deux groupes de joueurs basés sur des tensions et contradictions dynamiques. Le face-à-face dans ce sport collectif, les chocs des corps dans les duels successifs entre les joueurs, la force et la vitesse des tirs et lancers du ballon en direction de la cible adverse, tout démontre la dimension conflictuelle de la situation du jeu et plus particulièrement du match. Le conflit semble être l’essence même du jeu sportif collectif tant il dilue cette séparation entre les équipes dans une situation de combat qui les réunit pour une même visée, la victoire. En ce sens, le match sportif illustre le moment d’une convergence des contradictions, il est simultanément l’espace et le temps de la « résolution des tensions entre les contraires » [17] qui s’y exprime parfois violemment.
La configuration actuelle du football congolais de haut niveau paraît dès lors favorable à l’expression de conduite violente même si les règlements s’efforcent de les réduire au principe de l’éthique sportive [18]. Nous définirons les conduites violentes dans les clubs congolais comme des attitudes menées à l’encontre de l’opposant pour affirmer son positionnement social et culturel au risque que son intégrité physique comme celle de l’autre puissent être menacées en dépit du souci permanent-du moins affirmé-de respecter les principes moraux. Sans être recherchées pour elles-mêmes, les conduites violentes semblent indissociables de la situation de jeu.
Au Congo, notre proposition montre que les conduites violentes au football se positionnent au cœur même de la logique sportive comme de véritables conditions de et pour son existence, du moins symbolique, préservant ainsi l’essence de l’activité. La logique de notre approche veut ainsi « reconnaitre l’imperfection comme étant, aussi, un élément structurant du donné mondain [et pose] l’hypothèse du "sentiment tragique" de l’existence » [19].
Par ailleurs, partant des données issues d’une recherche antérieure menée dans le milieu du handball congolais de haut niveau [3], activité sportive dont le rapport d’opposition entre deux équipes, les possibilités offertes par le règlement dans le rapport au corps de l’Autre-adversaire au football prédisposent d’emblée à l’affrontement physique. Ainsi, le jeu des émotions, les rituels individuels et collectifs, enfin la règle se posent successivement comme conducteur, mises en scène et référent des conduites violentes dans cette discipline sportive.
En outre, relevant d’une sociologie de l’action, nos données décrivent les conduites des joueurs, analysent le sens qu’elles prennent à leurs yeux et enfin, tentent de concevoir la place des conduites violentes dans la formulation actuelle du football congolais de haut niveau. L’action, parce qu’on lui adjoint des relations étroites avec une intention ou/et avec une signification, voire même parfois avec une morale, représente un objet de problématique sociale par "la place importante [qu’elle occupe] dans l’étude de la société, de la culture et de la personnalité" [20]. C’est donc dans un rapport ontologique visant à élucider le sens et la forme de la pratique du football par le biais des acteurs, de leur dire et de leur faire, que s’est inscrit notre démarche.
Par ailleurs, la population d’enquête se caractérise par une diversification à plusieurs niveaux : variabilité des expériences professionnelles, sociales et sportives ; ancienneté dans les clubs ; âges ; postes ; lieux géographiques ; nationalité. Parallèlement, un suivi plus régulier de type monographique, des clubs étudiés a permis d’étayer nos convictions premières.
4.2. Le sens des comportements transgressifs dans le football congolais
Effet "sexe"
L’implication des joueurs et des arbitres experts dans l’appréciation des comportements disruptifs a permis de classer et ordonner de façon fiable les conduites agressives pour mieux les saisir, les comprendre et ainsi les identifier dans leur manifestation sur le terrain, ce en temps réel. Au-delà des différences observées entre hommes et dames, l’ensemble des footballeurs congolais évolue au cours des matches en ayant recours aux mêmes types de comportements d’agression. Cependant, les hommes obtiennent des scores plus élevés de violence instrumentale et hostile que les dames, au cours des demi-finales et finales, à quelques exceptions près. La littérature et les études dans le domaine sportif tendent généralement à attribuer un niveau d’agressivité de nature instrumentale plus élevé aux hommes [21, 22].
L’étude de Mintah, Hubbeleston et Doody (1999) réalisée auprès des footballeurs en vient à des conclusions plus directes [23] : "les hommes émettent davantage de comportements de nature instrumentale et hostile que les femmes" [23]. Ce constat rejoint nos observations. Parmi les hypothèses explicatives pour ce phénomène, plusieurs auteurs ont étudié la différence entre le genre sous l’angle de la perception de légitimité des comportements agressifs en sport [24, 25]. De façon générale, les joueurs masculins rapportent des seuils de tolérance à l’agression plus élevés que ceux de sexe féminin [24]. Selon Coulomb et al., (1999), "…les filles tendent à accorder d’importance au fair-play […] et à accepter moins de comportements illicites comme légitimes que leurs homologues masculins […] [25]. On peut s’attendre à ce que les femmes, en sports collectifs, émettent moins de comportements d’agression que les hommes" [25]. En effet, dans un contexte sportif, il y a aussi des éléments grandissants quant au recours plus fréquent et à la perception masculine de légitimité d’actes d’agression non retrouvés chez la gente féminine [21]. Au Congo, les us et coutumes attribuent aux femmes un rôle social ne les encourageant pas à la pratique du football, sport caractérisé « masculinisant ». On a souvent l’habitude de dire qu’en Afrique l’éducation d’une fille est l’œuvre de la communauté du village qui considère la fille comme membre devant répondre à la satisfaction des hommes comme gérant de la famille au niveau des activités domestiques. La femme n’a donc pas sa place dans certains sports collectifs notamment au football, à moins qu’elle ne soit un « garçon manqué ». Cette représentation est si fortement ancrée que la sportive congolaise n’y échappe pas.
En outre, les deux types d’agression démontrent l’absence de différence significative pour les violences contre l’adversaire et le partenaire. Cependant, il existe des différences significatives entre hommes et dames, cela en faveur des hommes plus en demi-finales et moins au cours des finales. Au-delà de l’importance accordée par les dames au fair-play, nos observations suscitent un certain questionnement. En effet, en dehors du contexte sportif les violences diffèrent selon le genre, elles sont toujours fréquentes chez les hommes surtout dans le rôle de victimes d’agression et en tant qu’auteurs de violences diverses [26].
Nos résultats, rejoignant ceux de Choquet (op. cit.) [26], confirment la surreprésentation de l’implication des hommes face aux conduites agressives. Au football, les données de notre étude révèlent également que la fréquence des VP chez les dames est moindre par rapport à celle des IP. Cette observation est contraire au travail de Nuytens et Penin (2009) [27] sur les violences dans le football féminin. Selon ces auteurs, les VP sont légèrement plus fréquentes que les violences verbales, à l’instar du football masculin. Cette discordance est sans doute liée au niveau de développement du football féminin en France, où par exemple la seule ligue du Nord/Pas-de-Calais comprend plus d’une vingtaine de clubs.
Par ailleurs, certains auteurs comme Penin et al. (2011) [28] incriminent les rapports d’arbitres pour les faits de violence dans certaines ligues de France. Ils suggèrent que pour les VP, les joueuses sont les premières contrevenantes et victimes. Dans le périmètre de l’enquête, elles sont même à chaque fois agresseurs et agressées. Ceci témoigne du caractère assez exceptionnel du passage à l’acte dans le football féminin [29].
Une autre étude effectuée sur trois années révèlent que les directeurs de jeu, c’est-à-dire les arbitres, sont les principales victimes des violences verbales enregistrées (60% des cas contre 40% pour les joueuses). Si en Europe les jugements sont standardisés, au Congo il semble que la décision est liée au sexe : le sexe se présente fréquemment comme une variable qui n’est pas sans incidence dans la fabrique de la décision pénale. S’il est difficile de risquer l’interprétation lorsque les faits relèvent proprement de la casuistique, quelques hypothèses explicatives peuvent néanmoins être osées. En effet, il s’agit ici, comme le soulignent Passeron et Revel (2005) de penser par cas plutôt de penser le cas [30]. La première renvoie à la faible diversité des peines existantes. L’éventail des sanctions se réduit essentiellement à un nombre de matchs et une amende. L’appareil ne permet donc pas vraiment l’adaptation des peines que l’on peut voir appliquée par ailleurs. La seconde explication se fonde sur la très faible présence des femmes dans le football Congolais. Par leur invisibilité dans la pratique et les comportements pervers des dirigeants des clubs, le rapport d’arbitre et le barème disciplinaire contribuent alors dans notre milieu d’établir des décisions non équitables et de refreiner les comportements agressifs. Le caractère nécessairement casuistique de l’objet étudié dans notre milieu sportif immoral permet donc de faire de ces intuitions des catégories sociologiques. Tout au plus, elles indiquent des conditions de possibilités qui convient d’éprouver en interrogeant le terrain autrement, en s’approchant suffisamment des acteurs concernés.
Spécificité de la violence dans le football en milieu congolais et d’ailleurs
Il ressort de cette étude que le contexte d’opposition corporelle du football est particulièrement générateur d’émotions dont les divergences en termes de nature et de mobilisation complexifient les tensions vécues par le joueur. C’est dans ce sens que Le Breton affirme que « L’émotion est à la fois évaluation, interprétation, expression, signification, relation, régulation d’un échange ; elle se modifie selon les publics, le contexte ; elle diffère dans son intensité, et même ses manifestations, selon la singularité personnelle » [31].
A travers la multitude d’actions constatées lors des observations répétées de matchs officiels, on note deux grandes logiques d’action marquées par la tension proximité/distance avec les autres joueurs, en particulier adverses. La première logique est celle du rapprochement. Chaque course, chaque engagement s’effectue en direction des espaces libérés par les adversaires jusqu’à parfois rechercher volontairement le contact corporel pour effectuer la transmission du ballon au dernier moment, véritable garantie d’une mise en situation d’attaque favorable pour le partenaire.
Les offensives se déroulent auprès de la défense et provoquent inévitablement le contact des corps. Le degré d’intensité du contact est proportionnel à la dangerosité de l’action estimée par les défenseurs. L’éloignement caractérise la seconde logique d’action. Elle se concrétise par les tirs de loin produits à distance des défenseurs pour être libérés de toute pression. C’est sur la base de cette alternative que se structurent les attaques et que se formalisent les conduites violentes qu’elles soient par le biais des corps ou bien par l’entremise d’un objet, la balle. En revanche, et bien qu’elles se distinguent l’une et l’autre, ces deux logiques d’action visent un même objectif, transpercer l’organisation défensive adverse et conquérir son territoire matérialisé par la cible.
La conquête du territoire comme finalité symbolique, l’opposition corporelle provoquée par l’interpénétration des espaces, la possibilité tolérée par le règlement d’agir sur le corps de l’autre font du football une activité propice aux conduites emportées.
A l’évidence, la victoire constitue l’objectif qui unit les deux équipes malgré leurs divergences. En outre, si elle s’est dessinée tardivement et a laissé quelques traces sur et dans les corps, elle marquera la mémoire individuelle et collective puisqu’elle sera inscrite dans leur chair « la victoire c’est toujours du plaisir » ; « Quand ça se joue à un ou deux buts, ça procure plus de plaisir ». Cette incarnation dans l’acception la plus forte du terme du résultat trouve la justification de sa violence dans une logique de don et de contre don [32].
C’est cette recherche de victoire qui encourage les joueurs à s’engager jusqu’à parfois faire don de leur corps, à sacrifier parfois jusqu’à l’intégrité physique pour arracher à l’adversaire -et au destin-la victoire, son prestige et son émotion.
C’est la divergence des situations qui les conforme encore à une multitude de ressentis corporels qui fait vivre aux joueurs les instants de grandes violences psychologiques. De l’envie d’entrée sur le terrain et de bien faire à la peur de perdre, de la joie du but marqué à la tristesse du but encaissé, de l’estime de la performance collective au doute de sa performance individuelle, des souffrances endurées, aux sentiments d’injustices d’une décision rendue, «la situation de match, parce qu’elle représente la situation réelle de l’opposition, fait éprouver toute la gamme des émotions que l’on peut ressentir dans le temps long et distendu d’une vie […] On retrouve ici "la bonne dimension“ qui selon Aristote, modèle la tragédie, c’est-à-dire celle qui comprend tous les événements qui font passer les personnages du malheur au bonheur ou du bonheur au malheur » [33]. Les souffrances physiques et psychologiques semblent indissociables de la situation de match comme des moments de préparation précédant le coup d’envoi. Il suffit que l’importance de l’enjeu associée à la pression exercée par le public soient présents pour que le ressenti émotionnel ne soit plus tenable et provoque chez les joueurs des comportements exacerbés : « ici, à Diables Noirs football (équipe de première division du football à Brazzaville-Congo) c’est multiplier par 10, par 100 » (entretien avec un joueur). Etre à 100% de ses possibilités résonne à l’unisson dans les discours de nos joueurs étudiés. Il s’agit là moins d’être efficace dans les actions entreprises que d’être présent mentalement et physiquement pour affronter dignement la situation de position. Selon eux, augmenter ses chances de remporter la victoire passe d’abord par l’obligation de s’imposer physiquement avec tout ce que cela renferme comme significations.
Enfin, d’un match à l’autre les joueurs vivent, parfois différemment, les mêmes émotions. Il paraît très clairement dans les discours que l’incertitude de ne pas prévoir totalement le déroulement de la rencontre module les émotions éprouvées pouvant alors conduire à l’émergence de conduites excessives, une virulence formalisant au final le sentiment positif ou négatif quant à la qualité de la rencontre et des performances individuelles et collectives.
5. CONCLUSION
En somme, la présence des comportements d’agression dans le football congolais ne fait aucun doute. La confrontation sans cesse renouvelée des joueurs de ce sport collectif à la logique de la compétition a assurément un effet socialisant. Cette logique interne décrète quelles sont les conduites tolérées au cours du déroulement des matches. Le footballeur congolais, lors des matches avec enjeu, intériorisent donc des comportements d’agression au sein de la discipline. Aussi, pouvons-nous conforter l’hypothèse selon laquelle le football congolais est le siège de l’accoutumance aux formes de violence instrumentale et hostile, les joueurs habitant un espace sensoriel spécifique qui les rend brutaux plus ou moins en situation de compétition. Cependant, dans ce contexte l’agressivité n’est pas un mal que la pratique du football doit éliminer par purge, mais une condition de réalisation qui doit être éduquée et entretenue.
Il apparait également dans cette étude que nos footballeurs, lors de la finale, malgré une longue pratique sportive, démontrent un faible niveau de raisonnement moral dans leur activité. L’intérêt de cette étude est d’avoir mis en évidence que cette faiblesse dans le domaine moral s’exprime à la fois par une morale tournée davantage vers l’égocentrisme que vers la prise en compte d’autrui, fait contraire aux valeurs de la coutume bantoue, ce par une déresponsabilisation des joueurs vis-à-vis des comportements transgressifs réactifs. Néanmoins, il se dégage de cette étude un certain nombre de facteurs qui peuvent jouer contre ce désistement moral et ses conséquences négatives et qui, à cet égard, peuvent servir de point d’appui à tous ceux qui cherchent comment lutter contre ces phénomènes.
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